Pour retrouver les enfants congolais non vaccinés, il est question des fumoirs à poisson et du dialogue inter-religieux

Reda SadkiGlobal health

Au deuxième jour de leurs travaux en direct, les professionnels de la santé congolais sont passés de la découverte à l’exploration des causes profondes qui laissent des centaines de milliers d’enfants exposés aux maladies évitables par la vaccination. Ils découvrent que les racines du problème sont souvent là où personne ne les attend: dans l’économie de la pêche, le dialogue avec les églises ou la gestion des camps de déplacés.

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Les analyses, plus fines, révèlent des leviers d’action insoupçonnés, démontrant la puissance d’une méthode qui transforme les soignants en stratèges.

« La séance d’hier, c’était une séance de découverte, mais aujourd’hui, c’était une séance d’exploration. Explorer, c’est aller en profondeur. Il faut sonder ».

Ces mots de Fidèle Tshibanda Mulangu, un participant congolais, résument la bascule qui s’est opérée ce mercredi 8 octobre.

Après une première journée consacrée au partage des défis, la dynamique a changé.

L’objectif n’était plus seulement d’identifier les problèmes, mais de les disséquer avec une précision accrue.

Dans le cadre de l’initiative menée par La Fondation Apprendre Genève et ses partenaires — le ministère de la Santé de la RDC, l’UNICEF et Gavi — les participants ont été invités à appliquer une deuxième fois la méthode d’analyse des causes profondes.

L’effet a été immédiat.

« La séance d’hier m’a permis de comprendre que ce que je pensais être une cause profonde n’était qu’une cause intermédiaire », a ainsi partagé Hermione Raissa Tientcheu Ngounou, illustrant la sophistication croissante des analyses.

Le dialogue rompu entre la foi et la santé publique

Au cœur du Kasaï, un groupe de travail a de nouveau abordé la question des églises de réveil hostiles à la vaccination.

Mais cette fois, l’analyse a dépassé le constat d’un obstacle religieux. « Les fidèles, lorsqu’ils tombent malades, ne vont pas dans les structures sanitaires, mais ils préfèrent rester dans des centres de prière », a expliqué le rapporteur du groupe, décrivant une rupture de confiance avec le système de santé formel.

En poussant la réflexion, les participants ont conclu que le vrai problème était « l’absence d’un cadre de concertation formel entre le système de santé et les confessions religieuses ».

La cause profonde n’était donc pas la foi, mais une faillite institutionnelle.

Une prise de conscience qui a immédiatement fait émerger des solutions.

« Dans le contexte des églises de réveil, les leaders de ces églises doivent être nos alliés », a insisté un participant, Mwamialumba Fidel.

Vacciner dans le chaos de la guerre

Dans le Nord-Kivu, une autre discussion a porté sur la vaccination des populations déplacées.

Confrontés à une cause première comme la guerre, hors de leur portée, les soignants ont fait preuve d’un pragmatisme remarquable.

L’analyse ne s’est pas enlisée dans un sentiment d’impuissance.

Le groupe a rapidement identifié une faille concrète dans le système.

« Pour les déplacés, le grand problème est que les enfants arrivent sans carnet de vaccination, et on ne sait pas comment les intégrer dans le PEV de routine », a partagé Clémence Mitongo.

La cause racine n’était donc plus le conflit, mais « le manque de stratégie spécifique pour la prise en charge de ces enfants » une fois en sécurité.

Le groupe a ainsi transformé un problème insoluble en un défi organisationnel sur lequel il est possible d’agir.

Au-delà des frontières, une leçon d’économie locale

La richesse des échanges a été amplifiée par la participation de professionnels d’autres pays.

Un des cas les plus édifiants est venu de Madagascar, où 93 enfants d’un village de pêcheurs n’étaient pas vaccinés.

« Les femmes sont obligées d’accompagner les hommes pour la vente du poisson. Et quand elles reviennent, nos équipes sont déjà parties », a expliqué le rapporteur du groupe.

La cause profonde, révélée par l’analyse, n’avait rien de sanitaire.

C’était l’absence d’un fumoir pour conserver le poisson, qui forçait les femmes à s’absenter.

L’impact de cet exemple a été puissant.

« Ce cas du Madagascar est très édifiant et illustre parfaitement la pertinence de l’analyse approfondie », a commenté Alphonse Kitoga.

Une pédagogie de l’action

Ces cas pratiques illustrent la maturation rapide des participants.

La méthode des « cinq pourquoi », introduite la veille, est devenue un outil maîtrisé, un réflexe analytique.

« C’est une nouvelle approche pour nous », a affirmé Baudouin Mbase Bonganga. « Le fait de travailler en groupe, de partager les expériences, ça nous a vraiment enrichis ».

L’exercice ne vise pas à transmettre un savoir, mais à cultiver une compétence: la capacité de chaque professionnel à devenir un fin diagnosticien des problèmes de sa communauté et un architecte de solutions adaptées.

De l’analyse à l’action

Cette journée d’exploration intensive n’est qu’une étape.

Les participants ont jusqu’au vendredi 10 octobre pour soumettre la première version de leur projet de terrain, où ils appliqueront ces analyses à leurs propres communautés.

L’initiative démontre qu’en s’appropriant les bons outils, les acteurs de terrain peuvent rapidement monter en puissance.

Comme l’a brillamment résumé Papa Gorgui Samba Ndiaye: « Cette méthode permet de contextualiser réellement les problèmes, et ce qui est bien, c’est qu’on sort des solutions toutes faites… Ça nous amène à innover ».

Le mouvement est en marche, et il est porté par ceux qui, chaque jour, sont en première ligne.

Image: Peer learning exercise, as seen from The Geneva Learning Foundation’s livestreaming studio.